Le temps est une notion intéressante, parfois un peu perturbante si on y pense.
Avoir le temps.
Perdre son temps.
Il faut laisser le temps au temps
Le temps ne passe pas.
Je nâai pas vu le temps passer.
Je nâai pas eu le temps.
Chronos, Kairos.
Le temps sâest arrêté.
Le temps file. Il passe trop vite.
Trouver le temps long.
Ne pas être maître de son temps.
Quand on travaille en entreprise, ou disons dans une structure donnée, suivant le travail effectué, on peut parfois avoir lâimpression dâêtre les maîtres du temps. Et parfois dâen être une victime.
On peut avoir lâimpression dâavoir passé sa journée àêtre interrompus, àavoir dû traiter des choses imprévues, et de nâavoir réellement rien fait.
à contrario, on peut se donner lâillusion de rajouter des heures àla journée, en traitant ses emails après ou avant les heures de travail, où le temps vole et la productivité aussi.
Le sommeil en pâtit parfois, ou la vie privée, mais souvent câest égal, on quitte le travail avec un sentiment de profond contentement. Moins dâemails nous attendront jusquâau lendemain, on est plus tranquilles. Pour moi, ça marchait àchaque fois.
Et puis quand on écrit, mais que personne nâattend vraiment rien de nous, la notion du temps change.
Les journées dâécriture sont plus longues, tout en étant très courtes. Elles sont plus calmes tout en étant une sorte de grand huit émotionnel. Elles sont passées en solitaire et pas du tout.
On se lève avec une idée en tête, en tout cas moi, nâayant perdu pratiquement aucun des réflexes dâune bonne employée qui se veut productive : aujourdâhui, jâécrirai pendant x heures sur tel projet puis x heures sur tel autre.
On sây met, et puis non, cela ne se passe pas du tout comme prévu. Même si on reste lâarrière-train vissé àsa chaise toute la journée.
Parce que celle qui mène la danse, ce nâest pas nous, câest lâhistoire. Si on la brusque, quâon tente de la gaver de plus de mots quâelle ne peut accepter pour le moment, on risque de se perdre, de la perdre. Elle risque de disparaître subrepticement en nous faisant la nique. Non merci ici on nâest pas àlâusine, je reviendrai quand tu seras calmée.
Et puis il y a les jours où on nâa pas dâidées, on pense que cela va être compliqué dâécrire même trois mots et soudain lâhistoire se délie, se fait sous nos yeux ébahis alors quâon se concentre pour pouvoir la suivre. Les mots et les minutes sâalignent dâeux-mêmes.
Câest très déconcertant, cet exercice de pousser juste assez, mais pas trop, de laisser faire juste assez, mais pas trop. Un bel exercice dâéquilibre.
Ce matin, comme tous les matins depuis des semaines, mon histoire prend son temps, elle se dandine. Elle me lance des indices, quelques scènes, quelques images que je mâévertue àdécrire, àécrire puis elle se retire pour la journée en bâillant.
Je veux la retenir, je veux trouver un truc, comme quand jâétais en entreprise et que je pensais â pour quelques heures â être le maître du temps. Un truc qui me donne lâimpression que jâai tout en main, que je maîtrise.
Ce matin en la regardant prendre congé pour la journée, je me prends àsourire. Cela ne sert àrien de pester, de supplier, de sâénerver ou de sâattrister, je le sais jâai tout essayé. Je ne peux quel la remercier pour la visite et espérer la revoir demain.
Le rythme ce nâest pas moi qui en décide. Jâai une marge de manÅuvre, certes, et je suis la seule àpouvoir décider de me poser sur ma chaise et devant mon écran. Mais au-delàde ça, je ne fais quâapprendre, tenter de comprendre, prendre au vol, recevoir et exercer. La patience, mon endurance, mon lien avec les histoires, les personnages, les scènes, ma capacité àpasser dâun projet àlâautre quand lâun dâeux décide de me laisser en plan pour la journée parce quâil mâen a assez dit. Et ma capacité àlaisser partir, àécouter le chuchotement qui dit que pour lâinstant câest tout ce quâil y a àvoir sur le sujet.
Et puis si je suis honnête, rajouter du temps aux journées ne faisait illusion que pendant quelques heures dans la soirée avant dâarriver au travail le lendemain matin en réalisant que le ping-pong dâemails sâétait enflammé dans ma boîte malgré tout.
Jâapprends donc àlaisser partir mon histoire pour lui permettre de se faire une beauté, àme réjouir de la retrouver, et en attendant quâelle revienne, jâécris un billet de blogâ¦
Crédit dâimage: Fabrizio Verrecchia sur Unsplash