Pourquoi me suivez-vous sans relâche? Qui êtes-vous vraiment? Pourquoi êtes-vous si nombreux àvenir me voir?
Vous exigez de moi une sérénité que je ne saurais vous donner àlâinstant où vous me la réclamez. Peut-être jamais du reste.
Comment accepter de vous voir partout sans vous y avoir conviés? Comment vivre avec vous tapis dans chaque recoin de mon existence?
Comment désenchevêtrer ma vie des vôtres?
Comment vous laisser vivre votre vie sans moi, et moi sans vous, vous qui êtes nés par moi et pour moi.
Je te reconnais, toi. Tu as envenimé ma vie des années durant et te revoilàdans mes textes. Sors dâici tout de suite, tu es chez moi et tu n'y es pas le bienvenu. Je te barre, te trace mais tu reviens en sifflotant dans la version dâaprès. Dans les histoires dâaprès. Tu mâenvahis de partout. Tu mâirrites, me provoques, tu tâamuses de mon désarroi. Je te jette le stylo àla figure alors que tu prends tranquillement mon horizon en otage.
Et ces mots, tous ces mots. Le bon mot, le mot juste, le mot pesé, choisi, élégant, parfait. Le mot qui mâéchappe, qui me fuit. Ceux qui blessent, qui me coupent en me traversant avant de venir atterrir nonchalamment sur ma page. Les mots sales, les tristes, les durs. Ceux qui ne sortent pas, ceux que je ne veux pas laisser échapper, ceux qui sâenvolent. Ceux qui mâenvolent. Ceux que je broie, ceux que je brise, ceux qui me broient, que je trace, qui volent en éclats. Ceux qui me heurtent de devoir vous heurter.
Je tourne et retourne ces mots, je vous regarde dans les yeux, dans le coeur, je vous observe vous scrute et je ne comprends pas. Je suis perdu. Je ne vois plus rien, je ne sais plus.
Qui suis-je, moi, pour me mettre entre vous et eux. Pour vous raconter àeux. Est-ce que seulement ils sâintéressent àvous? Comment leur faire découvrir qui vous êtes, vous qui nâexistez quâàtravers moi. Comment vous faire justice? Comment leur montrer sans manquer de pudeur, sans vous trahir. Comment vous raconter?
Ils ne vous comprendraient pas.
Soudain câest comme une évidence, câest de ça dont il sâagit, dont il sâest toujours agi. Les mots arrivent en flot, en rafale, en tempête. Après un calme plat tous sâanime soudain. Lâhistoire sâenvole et vous emporte dans son sillage. Je ne peux plus rien pour vous, je dois vous laisser vous envoler. Vous êtes maintenant si loin, vous êtes hors dâatteinte.
Pourquoi mâexcluez-vous alors que je vous ai donné mon souffle, ma vie, mes mots. Pourquoi vous cacher alors que nos destins sont liés. Pourquoi me laissez-vous de nouveau seul, si seul, moi qui vous aime tant.
Comment vivre sans vous maintenant, dans le vide et dans le silence, vous qui me teniez chaud depuis si longtemps. Seul face àma page, face au monde, face àmes questionnements. Et àtoutes ces paires dâyeux.
Qui suis-je donc pour vous imaginer, pour vous voir, pour vous aimer, pour vous raconter? Pour me raconter. Qui suis-je donc pour me mettre ainsi ànu? Qui suis-je donc pour oser oser? Qui suis-je donc pour oser décider de ce qui est bon pour moi? Et pour vous. Qui suis-je donc pour me tenir si droit au milieu de ceux qui se donnent tant de mal pour courber lâéchine? Qui suis-je donc pour oser rêver? Qui suis-je donc pour oser écrire?
Je ne suis personne. Tout au plus une poussière dâétoile de passage dans ce monde, comme vous tous. Une poussière dâétoile déterminée àmâenvoler dans leur sillage, àeux qui sont entrés dans ma vie sans crier gare, àeux qui se sont soufflés àmon âme et àmon oreille, àeux qui mâont invité àfaire un bout de chemin avec eux.
Et je suis tout le monde. Je suis mes personnages. Je suis mes histoires, je suis tous ces sentiments qui me traversent et me transforment; qui mâenvahissent, me débordent et puis me quittent. Je suis tous ces mots qui mâhabitent et dont je couche une infime partie sur la page, une main tendue dans la tempête.
Je suis vivant, je suis debout, jâécris et jâavance. Jâemmène avec moi ceux qui me lisent et àqui mon sillage sied.
Je suis un auteur.
A Diane de Man                                      Â
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